La pensée imaginative

Et la lumière fut… en pleine nuit. Un soir, je me couche croyant et, le lendemain, je me lève non-croyant. À ma grande surprise, Dieu a migré de mon cœur à mon imagination pendant mon sommeil. L’affirmation d’un proche, professeur de philosophie retraité de l’Université du Québec à Montréal, dont j’ai édité plusieurs livres, a fait son œuvre en mon esprit : « Toutes les divinités sont des inventions humaines ». L’idée a germé en mon esprit  comme un fait de l’histoire de l’Homme. Le problème, ai-je précisé à ce philosophe, c’est qu’ainsi je ne n’ai plus de Dieu. Rien de plus inconfortable pour un croyant.

Ma réflexion suivait son chemin à petits pas sans destination ultime. Dieu est Amour. Il en est la seule et unique source. Sans Dieu en mon cœur, puis-je produire de l’Amour par moi-même ? « Bien sûr que oui » a répondu l’épouse de mon ami philosophe. J’ai admis sur-le-champ, en guise d’exemple, que mon amour inconditionnel de mon épouse et de nos quatre enfants était intact.

Le vide laissé en mon cœur par la migration de Dieu en mon imagination m’a laissé dans un état émotionnel très inconfortable. Je ne parvenais pas à cerner le sentiment né de cette absence de Dieu et encore moins à l’exprimer. Puis, après quelques jours de cogitation, seule une réponse métaphorique me vint à l’esprit : « Mon cœur, dis-je à mon épouse inquiète, est comme un salon mortuaire… sans client. En peine, le directeur funéraire arpente de long en large le corridor reliant les salles vides d’exposition des corps. » Si elle ne fut pas rassurée en tant que croyante, elle se montra compréhensive et respectueuse de mon état.

Je me refusais tout de même à déclarer que Dieu n’existe pas. Mon esprit se débattait avec le souvenir bien ancré de l’affirmation « Dieu existe ». Par surprise, une nouvelle pensée surgit en mon esprit : « Dieu existe toujours, mais en mon imagination ». C’est un Dieu imaginaire. Après tout, la déclaration soutenant que « Tous les dieux sont des inventions de l’humanité » n’implique pas une absence complète et totale de Dieu chez l’Homme. Dieu vit en notre imagination. Je n’avais donc plus à nier l’existence de Dieu. Seule sa demeure changeait de lieu.

Pouvais-je continuer à croire en ce Dieu en mon imagination ? Le verbe « croire » perdait toute sa pertinence dans ce contexte. Je n’allais tout de même pas soutenir croire en un dieu imaginaire, comme on croit en un ami imaginaire. En mon imagination, je n’ai nul besoin de croire. Il me suffit de savoir. Et puisque  je ne suis pas du genre à croire que je sais, la barrière entre croire et savoir demeure très étanche. Croire en mon savoir ne m’apporte rien sur le plan intellectuel. Le savoir doit être acquis, admis ou reconnu, et non pas cru.

Le dieu de mes anciennes croyances monothéistes est celui dont on dit qu’il est le seul et unique Dieu. Mais il a trouvé de la compagnie en migrant dans mon imagination. Tous les dieux auxquels je n’avais pas cru s’y trouvaient déjà.

Croire en un seul et unique dieu n’implique pas la négation de tout savoir concernant les autres dieux au sein de l’humanité. Je croyais que mon Dieu était le seul et l’unique dieu. Je savais que d’autres croyants réclamaient le même statut pour leurs dieux. Je savais aussi que d’autres croyants ont foi, non pas en un seul dieu, mais en une multitude de Dieux, chacun ayant son rôle propre. Il en va par exemple dans l’hindouisme. Je savais tout cela, mais je n’y croyais pas. Bref, il m’était facile d’admettre que les dieux sont des inventions de l’humanité, sauf le mien.

La migration de mon Dieu de mon cœur à mon imagination m’a pris par surprise, d’autant plus qu’elle ne résultait d’aucun effort particulier de ma part, si ce n’est inconscient. C’est ma seule explication.

Je ne peux qu’extrapoler en me référant au contexte. Je venais de faire une croix sur un ami chrétien au comportement pas toujours chrétien. Peu m’importe la croyance et le savoir d’un homme, il faut que les bottines suivent les babines.  Ma relation avec lui m’intoxiquait.  Je ne sais si cette situation lourde d’émotions a joué un rôle dans la migration de mon Dieu de mon cœur à mon imagination.

À l’un de ses proches prenant des nouvelles de ma relation avec cet ancien ami, et après la migration de mon Dieu, j’ai servi une réponse cinglante : « S’il est fait à l’image de Dieu, ça ne vaut pas la peine de croire ».  C’était un peu tordu, mais livré dans l’espoir de clore une fois pour toutes la discussion et ce fut le cas, par chance. Car les chrétiens ont toutes sortes de justifications à leurs écarts de comportement  sans jamais remettre en cause l’Amour et la légitimité de leur dieu, ce dernier agissant toujours à la perfection et ayant toujours raison. Seul l’Homme est responsable de ses malheurs et de ses écarts de conduite.

Tous les Dieux inventés par l’humanité habitent dans mon imagination et ils me libèrent ainsi de toutes croyances. Je suis libre de toutes obligations envers eux.

Je me retrouve donc avec une vie spirituelle sans religion ni dieu. Suite à la migration de mon Dieu dans mon imagination, mon cœur n’a pas ressenti le besoin de remplacer la croyance perdue par une autre. Et l’idée de devenir mon propre dieu n’a pas effleuré mon esprit. Aussi, Dieu a migré avec la notion même de l’âme, une relique religieuse. Je n’ai pas besoin d’âme pas plus que du surnaturel pour vivre avec un dieu imaginaire.

Si mon cœur m’apparut vide et morbide au lendemain de cette migration, tant Dieu y occupait la place de choix en éclairant chaque recoin, mon cœur m’apparaît aujourd’hui comme un lieu paisible, un spa pour mon esprit. Mes valeurs universelles et personnelles s’y détendent presque en apesanteur, soulagées du poids de la foi. J’aime penser non plus seulement en mon intellect, avec ma raison, mais aussi en mon cœur. Ma vie spirituelle ne s’ancre plus en dehors de moi, dans une foi aux racines extérieures à ma propre vie, mais en moi. Je ne ressens même pas le besoin de croire en moi, d’avoir foi en moi-même. Je sais, tout simplement.

Et pour plaire à mon auteur philosophe, je précise que ma nouvelle liberté acquise d’un cœur allégé me permet d’accéder aujourd’hui à la clairière de l’Être. [1]

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[1] « Toute chose en tant qu’étant relève de l’être. Mais l’humain, tout particulièrement. L’être comme commencement se transfère en l’humain pour que celui-ci en assume la garde. L’humain devient ainsi un associé tout particulier de l’être. Il en devient le berger, en quelque sorte. L’expression est de Heidegger. L’être comme commencement est clairière. Cf. 71e tome de l’édition complète allemande. Tu as raison de te dire dans la clairière de l’être. » Extrait de la correspondance avec Fernand Couturier, professeur de philosophie retraité de l’Université du Québec à Montréal, 14 juillet 2020.